L’Equateur soutient l’Economie Populaire et Solidaire
Depuis 2008, l’Equateur s’est engagé dans un processus de reconnaissance et de valorisation des acteurs de l’Economie Populaire et Solidaire (EPS). Une loi organique vient d’être adoptée qui reconnait et normalise les structures financières populaires et qui au passage, légalise le recours à des moyens de paiement complémentaires physiques ou électroniques.
Une nouvelle Constitution pour le Buen Vivir
En 2008, les Equatoriens adoptent une nouvelle Constitution qui reconnait l’Economie Populaire et Solidaire (EPS) en la plaçant comme composante du système financier, au même titre que le secteur public et privé[i]. Elle va plus loin dans le soutien à ce secteur dans son article 311 où « les initiatives du secteur financier populaire et solidaire et des micros, petites et moyennes unité de productives, recevront un traitement différencié et préférentiel de l’Etat ». Nous pouvons comprendre par là que l’Etat lui donnera des avantages fiscaux, des subventions spécifiques et qu’il s’adressera prioritairement à ce secteur, dans le cadre des commandes publiques par exemple. La Constitution reconnait aujourd’hui un secteur marginalisé pendant des années, ignoré par la loi et la société. Les unités économiques qui le composent étaient considérées comme marginales et dédiées « à la solution à de petits problèmes ».
L’Economie Populaire et Solidaire se présente sous plusieurs formes : entreprises unipersonnelles, familiales, domestiques, ateliers artisanaux, réseaux de finances populaires et solidaires. Ces formes d’entreprise ont surgi de manière spontanée des communautés et sont le produit de relations familiales, ethniques, culturelles, ou territoriales. L’ESP contribue fortement à l’activité du pays, elle représente aujourd’hui 50% de l’emploi national et 30% du PIB[1]. Les petites et très petites surfaces agricoles (de moins de 1 à 5 ha) fournissent 65% des aliments de base aux populations urbaines. La finance populaire est une composante importante du secteur et compte 1500 coopératives financières et quelques 600 caisses d’épargne et banques communautaires. Elle rassemble 12% de l’épargne nationale.
Le gouvernement de Rafael Correa a qualifié l’Economie Populaire et Solidaire de stratégique pour son Plan National de Développement pour le Buen Vivir. Il entend mieux répartir les richesses en faveur de ce secteur. L’EPS est jugée comme un « nouveau modèle où la société se mobilise, s’organise, génère et distribue des ressources et des capacités pour produire, commercialiser et consommer des biens et des services, et satisfaire les besoins de la société, priorisant la solidarité sur la compétence, et le travail sur le capital ». Une loi organique (relative à l’organisation des pouvoirs) vient d’être adoptée à l’Assemblée Nationale pour répondre aux nouveaux objectifs de la Constitution : encadrer et développer l’ESP. « Le secteur […] comme la finance populaire doit être considéré comme stratégique et doté d’un cadre normatif spécifique et adéquat à sa dynamique, qui reconnaisse sa nature et logique d’organisation et de fonctionnement différent des formes d’entreprise du secteur privé et l’emporter sur sa subordination à la logique du capital »[2]
La Banque centrale au service de l’EPS
L’EPS s’est beaucoup développée grâce à la finance populaire. Le gouvernement de Rafael Correa inclut ce secteur financier d’un type nouveau dans le cadre de ce qu’on nomme la Nouvelle Architecture Financière Régionale, NAFR, c’est-à-dire une organisation financière alternative au système dominant. Le président a nommé une commission du même nom qui lui est directement rattachée. Elle est dirigée par Pedro Paez qui nous a reçus avec son équipe en avril 2011 dans les locaux de la Banque Centrale. Son équipe est composée d’anciens de la finance dont certains travaillent à temps plein pour la commission, d’autres à temps partiel, le reste du temps étant consacré aux activités propres à la Banque Centrale de l’Equateur, banque des banques dans le pays.
La commission NAFR considère que l’Economie Populaire et Solidaire est un élément important dans la stratégie de construction d’un espace économique répondant aux objectifs de justice sociale en Equateur et en Amérique du Sud. Elle cherche à lui offrir des outils financiers pour la renforcer et l’aider à se déployer à l’international sans les intermédiaires bancaires habituels. Avec la nouvelle loi, la Banque Centrale, commence à offrir aux coopératives financières, partie prenante de l’EPS, les mêmes services qu’aux banques publiques et privées. C’est elle qui offre aux banques commerciales de quoi se refinancer pour pouvoir offrir du crédit aux entreprises et aux particuliers. Ainsi, les moyennes et grandes coopératives financières pourront s’approvisionner en monnaie et seront connectées au système de paiement de la Banque Centrale, qui permet aux banques commerciales de déposer des fonds et effectuer des virements bancaires. La Banque Centrale encourage les coopératives financières de mettre les plus petites sous égide afin d’offrir un vrai service bancaire diffus jusqu’au point les plus reculés de l’Equateur.
Avec la multiplication des systèmes de paiement, la NAFR pense répondre au problème de liquidités qui est très important en Equateur. Le pays a choisi la dollarisation de l’Economie et ne dispose donc pas de monnaie nationale. Il doit acheter des dollars aux USA à un coût très important, ce qui pèse sur le financement de l’activité productive. Les systèmes de paiement permettront aux coopératives financières de faire circuler plus facilement et plus longtemps l’argent au sein de la communauté sans avoir à sortir physiquement des dollars, parce que producteurs et consommateurs effectueront leurs échanges dans le même système. La NAFR encourage les autorités locales à entrer dans les systèmes des coopératives financières pour augmenter la masse critique des échanges. Ce sont ainsi les systèmes de paiement complémentaire qui sont promus, les équipes de la commission NAFR ont participé aux travaux menant à l’adoption dans la nouvelle loi de l’ESP d’un article légalisant les moyens de paiement alternatifs pouvant prendre une forme « physique ou électronique ».
Schéma de circulation de la monnaie
Avec sa Constitution et cette nouvelle loi, l’Equateur est un des pionniers dans la reconnaissance de l’Économie Sociale et Solidaire, nom donné à ce secteur en France. L’Espagne a adopté la sienne l’année dernière. En France, elle fera sans doute partie d’une des revendications des Etats généraux de l’Economie Sociale et Solidaire du 17 au 19 juin à Paris[3]. Mais l’Equateur est aussi un des premiers pays à offrir un cadre légale aux monnaies complémentaires là où d’autres pays le tolèrent seulement comme c’est le cas en France.
[2] Art 309 de la Constitution en espagnol