Les coopératives financières en Equateur

En Equateur, les habitants contrôlent leur épargne et s’offrent un outil de crédit en s’organisant autour de structures financières populaires. Ils en existent de différentes formes : coopératives financières, caisses d’épargne et de crédit ou banques communales ; autant d’alternatives au système bancaire traditionnel, désavoué lors de la crise financière de 1998. Aujourd’hui, le mouvement coopératif va plus loin avec la structuration en réseau de coopératives financières, et la mise en place d’outils de développement économique local. Les pouvoirs publics viennent de renforcer encore plus le mouvement en leur donnant un cadre légal.

Une finance populaire démocratique et sans but lucratif

En Equateur, comme dans de nombreux pays d’Amérique du Sud, le système bancaire traditionnel n’est pas diffus sur l’ensemble du territoire. Les zones rurales ne possèdent pas un tissu important de banques, alors que la population y est la plus nombreuse. Les habitants doivent se rendre dans une ville plus grande pour retirer leurs bons de développement humain[1] et les mandats de leurs parents émigrés à l’étranger. De plus, les banques traditionnelles mettent des barrières importantes à l’obtention d’un crédit, les agriculteurs, souvent pauvres, sont considérés comme sujets à de forts risques. Au début des années 1990, quelques Équatoriens font le choix de s’organiser en coopératives pour déposer et gérer leur argent, les premières coopératives financières[2] d’un type renouvelé sont nées. Ces coopératives reviennent aux principes fondateurs du mouvement coopératif, apparu au XIXe siècle mais qui s’est « banalisé » à partir des années 1970, avec l’ouverture des coopératives à des « non coopérateurs », pour trouver des financements en dehors du cercle des coopérateurs participant à l’activité. Aujourd’hui, partout dans le monde, les coopératives, qu’elles soient ouvrières, de crédit ou de consommation, tentent de surmonter la crise du mouvement en recherchant un nouveau souffle. L’Equateur a peut-être trouvé une clé dans cette direction.

Là-bas, les coopératives financières sont de taille humaine, la gestion est démocratique. Le sociétaire trouve dans ce cadre la possibilité de financer l’activité productive qu’il souhaitera développer dans le futur. La coopérative a pour mission de financer l’activité locale et de répondre aux besoins de financement de ces sociétaires. Il s’agit d’une structure financière sans but lucratif, elle peut donc proposer des prêts à des taux d’intérêt plus bas que le marché.

Monté en puissance depuis la crise financière de 1998

D’un phénomène assez marginal, ressemblant sur quelques points au mouvement des Cigales[3] en France, où des particuliers se réunissent pour financer un projet au sein de la communauté, ce type d’institution financière s’est transformé en réponse à la crise financière que subit l’Équateur en 1998.

Le pays vit alors un épisode économique et social dramatique, le système financier est fragilisé, notamment les banques qui vivent une profonde crise de confiance, produit d’un haut niveau de corruption. Le système bancaire s’écroule et la monnaie nationale subit des attaques spéculatives, qui se caractérise par le retrait des dépôts et la fuite des capitaux étrangers, le pays se voit forcer d’adopter le dollar comme seul moyen d’échange.

Avec la faillite de plusieurs banques, c’est l’épargne de milliers d’Équatoriens qui s’évapore sans remboursement possible, ce qui représente la ruine pour des familles pour qui les économies sont une assurance individuelle pour tous les risques de la vie. Les Équatoriens rejettent alors le système bancaire et se tournent massivement vers les structures financières populaires, reconnues par la population, surtout au niveau rural, comme un système efficace de financement de la petite production pour les plus pauvres. Elles se présentent comme des référents solides pour le développement local, même en temps de crise, grâce aux valeurs véhiculées,  à leur implantation au sein de la communauté, et parce qu’elles sont administrées et contrôlées par des membres de la communauté, générant un grand sentiment de pertinence, de solidarité et de démocratie. Leur nombre se développe rapidement jusqu’à atteindre 1500 coopératives et 600 caisses d’épargne en 2011.

Organisation récente des coopératives en réseau : la Renafipse

L’État équatorien ne peut que tolérer ce mouvement coopératif massif parce qu’il pallie le manque de financement de la part des circuits traditionnels. En décembre 2007, les coopératives, qui étaient jusqu’à lors organisées en réseaux régionaux, ont décidé de constituer une instance d’intégration nationale appelée Réseau National de Finances Populaires et Solidaires, RENAFIPSE. Ce réseau national est doté de la capacité de coordonner, de représenter et de gérer des projets de renforcement de l’institution. L’objectif est de défendre les intérêts spécifiques des acteurs de la finance populaire et l’identité même des coopératives qui, si elles devaient être reconnue comme des institutions bancaires classiques, ne pourraient plus lier épargnants et emprunteurs et proposer des taux d’intérêts préférentiels à ces sociétaires.

Le renforcement des coopératives en réseau national a permis de mener des actions politiques auprès des ministères et de l’Assemblée constituante pour faire reconnaître juridiquement cette expérience populaire d’épargne et de crédit. Avec l’appui d’ONG et du mouvement social, la RENAFISPE a réussi à inclure cette réalité dans la nouvelle Constitution qui fut approuvée en septembre 2008. Avec la nouvelle loi sur l’Economie Populaire et Solidaire, les coopératives détiendront les mêmes droits que les banques publiques et privées avec un traitement particulier sur les devoirs. Elles devront harmoniser et normaliser leur mode de gestion et en échange, pourront gérer les comptes courant et offrir des moyens de paiement à leurs sociétaires.

La finance populaire atteint ainsi un niveau avancé de développement et de diffusion sur le territoire équatorien si l’on compare aux expériences françaises. L’exclusion bancaire est forte en France, et la demande pour une finance populaire éthique et solidaire pourrait se développer mais il existe peu de propositions larges et diffuses sur le territoire. Pour exemple, la NEF[4] est une société coopérative de finances solidaires qui poursuit les mêmes objectifs que la plupart des coopératives équatoriennes, à une échelle différente, elle est nationale alors que les coopératives équatoriennes s’inscrivent dans les territoires et sont organisés en réseau. Le développement de la NEF ne sera permis que si elle devient une banque éthique de plein exercice, qui peut proposer tous les services bancaires traditionnels, notamment gérer les comptes courants de ces sociétaires. Pour obtenir l’agrément bancaire qui lui manque[5], il semble que sa seule possibilité soit de fusionner avec d’autres banques éthiques européennes, avec tous les risques que cela suppose comme la perte des prérogatives décisionnelles mais avec l’avantage du partage des expériences dans l’ancrage territorial.

L’étude approfondie de la vie coopérative en Equateur, comme dans d’autres pays d’Amérique du Sud et d’Europe, devrait nous aider à impulser la création de groupes locaux de sociétaires en France au service d’une finance populaire, éthique et solidaire ancrée dans les territoires, levier pour une relocalisation de l’économie, relocalisation qui pourra être fortifiée par l’adoption des monnaies sociales.


[1] Allocation monétaire de 30 USD mensuels destinée aux familles très pauvres.

[2] Définition Wikipédia : Une coopérative bancaire est une entité dans laquelle les sociétaires ont la double-qualité d’usagers (clients déposants ou emprunteurs) et de propriétaires (participant à la gouvernance). Contrairement aux banques sous le régime des sociétés anonymes, les décisions prises en assemblée générale le sont suivant le principe une personne, une voix, et non une action, une voix

[5] Lire sur le sujet l’article de Claire Berthelemy et Sylvain Lapoix sur Owni.fr, 11 février 2011