Des coopératives adoptent les monnaies sociales

Dans sa recherche de bénéfices pour ses membres, le Réseau National de Finances Populaires et Solidaires, RENAFIPSE s’est rapproché de la fondation équatorienne Pachamama et de la fondation hollandaise STRO. Cette fondation est pionnière dans le domaine du design des monnaies complémentaires et de systèmes alternatifs de paiement. En 2007, ces trois acteurs décident ensemble de faire l’expérience des monnaies complémentaires pour renforcer l’économie locale en Equateur. Ils mènent une étude sur 15 coopératives au niveau du pays pour trouver celles qui sont les plus aptes pour un projet pilote en Equateur. De cette étude ressort  le nom de trois coopératives d’épargne et de crédit : « Integral » et « Coopera » dans l’Etat d’Azuay et « San Miguel de Sigchos » dans l’Etat de Cotopaxi. Pour les 3 coopératives, c’est une « monnaie physique » (bons d’achats) qui est choisie, un billet imprimé infalsifiable nommé UDIS (Unidad de Intercambio Solidario).

Projet pilote de monnaies sociales avec Coopera, Integral, Sigchos

Le choix de la coopérative est important, son implantation dans le territoire et sa rigueur de gestion compte pour la réussite du projet. C’est la coopérative qui gèrera l’émission des UDIS en déposant dans ces coffres un dollar pour chaque UDIS émis. La coopérative distribuera les UDIS soit par le crédit, en proposant une partie de l’emprunt en monnaie locale, avec un avantage sur le taux d’intérêt pour l’emprunteur ; soit par le change direct de dollars en UDIS, les commerçants pourront s’approvisionner en UDIS pour les distribuer à leur clientèle comme des bons de fidélité, 2 à 10 % du montant acheté est donné en UDIS. Les clients pourront alors les dépenser parmi le réseau d’affiliés. De cette manière, la communauté peut espérer former un cercle vertueux d’échanges qui privilégie et renforce le local. La prise de conscience de l’impact de la consommation sur le bien-être de la communauté est le défi fondamental que la coopérative doit affronter en faisant de la pédagogie.

Les coopératives choisies présentent différents défis représentatifs de l’ensemble des coopératives du réseau Renafipse. Coopera est intéressante pour ces 80 000 adhérents et sa diversification récente dans la distribution de produits alimentaires de ses membres, en plus de son activité financière traditionnelle. Intégral pour sa recherche de développement local dans les villes périphériques de Cuenca, et Sigchos pour son relatif éloignement de grandes villes, sa petite taille, et le taux de pauvreté de sa population. Le défi est de rassembler une masse critique de commerçants, de producteurs et de consommateurs pour que l’UDIS soit jugé pertinent et surtout qu’il circule bien et vite dans le territoire.  Pour Coopera, le problème ne se pose pas, la masse critique est largement dépassée. La coopérative possède des magasins en propre et elle distribue les produits de ses sociétaires producteurs pour les vendre à ses sociétaires consommateurs. Pour Sigchos, 42 commerçants ont d’ores et déjà acceptés de jouer le jeu, pour fidéliser leur clientèle, surtout que la concurrence avec une grande ville est faible. Pour Intégral, le défi est plus grand. Sinincay, la ville choisie pour le pilote est en périphérie de Cuenca où les habitants ont l’habitude de se rendre dans la grande ville pour leurs achats.

Le projet d’implantation a commencé en 2010. Les coopératives ont dédié une partie de leur personnel dans la mise en place du projet  notamment pour la formation des employés au nouveau système. L’UDIS est d’ores et déjà lancé avec Integral dans son implantation de Sinincay grâce à une grande féria. Coopera a changé son système informatique pour accueillir une nouvelle monnaie, elle escompte lancer l’UDIS début mai. A Sigchos, les commerçants sont formés et ont choisi la date du 14 mai pour le lancement.

Menaces sur le projet

Le défi est énorme mais le temps presse au moment où les banques traditionnelles reprennent ces idées pour fidéliser leur clientèle. Une polémique a d’ailleurs éclaté dans la presse quelques jours après le lancement de l’UDIS par Integral à Sinincay. La Superintendance des banques a dénoncé la volonté des coopératives de remplacer le dollar alors que « l’unique monnaie pour les opérations financières est le dollar ».

Dans un communiqué, Renafipse explique que « les projets de Réseaux d’Echanges Solidaires se développent dans le cadre de la vision de l’Economie Populaire et Solidaire et qu’à aucun moment ils n’ont prétendu remplacer le dollar ».  Il rappelle les objectifs du projet sont de « promouvoir la production et la consommation de ressources propres à la communauté » et que les UDIS ne serviront qu’à faire des transactions de manière complémentaire. Renafipse indique également que le secteur privé utilise déjà ce système avec les bons de réduction dans les supermarchés et le système des points de fidélité dans les compagnies aériennes

Renafipse est victime d’une désinformation sur les monnaies complémentaires pour discréditer ce type d’expérience auprès de l’opinion. Cette branche de l’Economie Populaire et Solidaire vient d’être reconnue par la dernière loi réglementant le secteur. Son développement dans le territoire représente une menace pour le secteur bancaire traditionnel qui jusqu’à maintenant était un acteur incontournable. Les monnaies complémentaires proposées par Renafipse sont un moyen certain de fidéliser une clientèle d’épargnants et de commerçants autour des coopératives financières, une clientèle qui échappe un peu plus aux banques privées.

La finance populaire permet déjà aux équatoriens de mettre à la disposition de la communauté son propre outil de financement de l’activité. Les coopératives sont au service de ses sociétaires et non l’inverse. Avec les monnaies complémentaires, les coopératives adoptent un outil supplémentaire pour renforcer l’économie locale. La production et la consommation locales sont privilégiés au moyen d’un « bon de fidélité », l’UDIS. La communauté dispose de tous les moyens pour relocaliser l’économie. Avec la légalisation toute nouvelle des moyens de paiement alternatifs et complémentaires, Renafipse pourra passer de la phase pilote à la généralisation de l’expérience aux autres coopératives. La polémique devrait s’essouffler, le Président a fermé la porte aux critiques et vient de valider la nouvelle disposition de loi qui légalise les monnaies sociales en Equateur.