CoopeVictoria (CostaRica)

 

  1. Coopevictoria 


    Après le Salvador et le Honduras, TAOA pose son sac à dos et son ordinateur au Costa Rica, à Grecia, petite ville à une heure de la capitale San José, afin de découvrir la monnaie locale UDIS créée et gérée par Coopevictoria avec l’appui de la fondation STRO.

    Coopevictoria est la première coopérative du Costa Rica, la première créée (1943) et la plus importante coopérative agro-industrielle du pays (canne à sucre et café) avec 3000 associés, 250 employés toute l’année, et plus de 1000 employés lors des récoltes.

    Sa stratégie : augmenter la production, produire mieux (certification commerce équitable, ISO 9001), plus propre (récupération et valorisation des déchets (biocombustibles, engrais biologiques), et diversifier ses activités, parfois dans des domaines inattendus : vente de carburants, construction et vente de lotissements, concessions funéraires…

     

  2. Coopevictoria et la RSE 


    La coopérative, acteur économique majeur local, est aussi un acteur social sans équivalent pour la ville :

    • Pour les associés et leur famille : cours d’anglais, d’informatique, de gestion de son activité agricole, assistance à la production, formations des enfants des associés
    • Pour les associations caritatives locales : dons et soutiens (soins palliatifs)

    La coopérative va plus loin en adoptant une vraie démarche RSE (responsabilité sociale des entreprises) :

    • Récupération et valorisation des déchets liés à la production, la coopérative fonctionne avec son énergie propre en utilisant les déchets de canne à sucre comme combustible ou comme matière première pour la fabrication de bioéthanol, recycle ses déchets de café en engrais biologique
    • Programme de récolte d’huiles végétales usagées dans la région pour produire du biocarburant (84 000 litres d’huile recyclée par an)
    • Création d’une monnaie locale pour le développement de l’activité économique de Grecia

    Toutes ces actions sont englobées dans un projet global APLN (Apreciando Lo Nuestro), dont le but est de changer les mentalités, les habitudes et de fournir les outils pour une production et une consommation locale, responsable et durable.


  3. Une monnaie locale construite pour le développement local ?


    La monnaie locale, UDIS, a été conçue pour soutenir le développement local : création d’un réseau local de commerces partenaires, bonus aux agriculteurs pour améliorer leur pouvoir d’achat, formations à la consommation locale et responsable. Sur le papier, cette monnaie semble très bien fonctionner : une émission importante : 3,5 millions d’UDIS émis chaque mois (7000 US$), unréseau de 25 magasins affiliés diversifié (restaurants, bars, supermarchés, radio locale, pharmacie), un programme de formation des partenaires pour substituer leur achats importés en achat local…

    Toutefois, nous relevons très vite une distorsion entre l’émission et la circulation. En enquêtant auprès des commerces locaux, nous découvrons que la monnaie ne circule pratiquement pas dans le réseau (300 à 400 000 UDIS/mois), les commerçants sont unanimes : ils utilisent peu ou pas les UDIS car ils n’en reçoivent pas. Les associés Coopevictoria reçoivent bien des UDIS, mais ne les dépensent pas dans les commerces locaux ! Où vont donc les 3 millions d’UDIS restants mensuels ?

     

  4. Une monnaie commerciale


La réponse est très simple : les agriculteurs dépensent leur UDIS… à la coopérative !

La coopérative (émetteur) distribue à ses associés les UDIS comme un bonus (2%, soit 1000 UDIS) pour chaque tranche d’achat supérieure à 50 000 colones (monnaie nationale, 1 US$ = 500 colones) lorsque les associés achètent leurs engrais, machines agricoles ou carburant dans les magasins de la coopérative, c’est donc :

  1. Un moyen de pousser les agriculteurs à acheter plus dans les magasins Coopevictoria afin de recevoir le bonus
  2. Un moyen de les fidéliser puisqu’ils peuvent utiliser leur UDIS dans tous les magasins de la coopérative
  3. Un moyen d’augmenter les ventes de la coopérative (+40% grâce à la monnaie)

De plus, les UDIS sont distribués sur un compte informatisé, et les agriculteurs utilisent ce compte pour régler leur achat à la coopérative, ils ne voient souvent même pas la couleur des billets.

Nous ne pouvons que reconnaitre la réussite économique du projet (rentable), qui est par ailleurs souvent le point faible des autres expériences rencontrées, mais il faut être très prudent quant à la finalité de cette monnaie : de par sa position, émetteur et premier client, Coopevictoria truste les échanges en monnaie locale, et empêche le développement d’une vraie économie locale vu que la monnaie ne circule qu’entre la coopérative et ses associés. De notre point de vue, cette monnaie fidélise la clientèle, augmente les ventes mais ne contribue pas à développer une économie locale alternative.

Le projet, dans les mains de la Coopérative est encadré par la fondation STRO, qui œuvre dans plusieurs pays pour un vrai développement local au service de toute la communauté locale, et il serait malvenu de rejeter en bloc le projet de Grecia. La coopérative a sa logique, la fondation en a une autre, et cette dernière travaille activement pour résoudre le problème de distorsion entre émission et circulation. Sans oublier les bénéfices annexes du projet que sont la formation, la sensibilisation à une consommation locale responsable, adossé à des projets écologiques viables (biocarburants, bioéthanol).

 Mais cet exemple nous montre à quel point l’émetteur de la monnaie se doit d’être un administrateur neutre, désintéressé. Un organe indépendant qui garantie que la monnaie soit au service de toute la communauté et non de ses propres intérêts.