Une monnaie commune: le SUCRE
L’idée de monnaie commune a émergé en 2007 sous une proposition de l’Equateur aux pays de l’UNASUR. Il s’agit d’un des piliers de la Nouvelle Architecture Financière Régionale visant à renforcer les échanges dans la zone et à affranchir les pays de la dépendance du dollar pour le moindre échange commercial. L’objectif est d’impulser un développement durable en encourageant les échanges entre pays sud-américains plutôt que d’importer de très loin. Mais des désaccords entre les pays de l’UNASUR n’ont pas permis sa mise en place. Elle s’est faite alors dans un cadre plus restreint, entre les pays de l’ALBA, comprenant la Bolivie, le Venezuela, l’Equateur, le Nicaragua, Cuba et des pays des Caraïbes. La monnaie, qui est plutôt un système de paiement appelé SUCRE, est opérationnelle depuis juillet 2010. De la preuve de son efficacité dépendra son extension à d’autres pays du continent sud-américain.
Pour comprendre l’apport du SUCRE, il faut connaître le fonctionnement actuel. Aujourd’hui, chaque pays doit passer par le dollar pour importer des produits d’un pays « frère ». Pour payer une marchandise, l’acheteur doit changer sa monnaie nationale en dollars avant de les changer dans la monnaie nationale du vendeur. Tout ceci passe par de nombreux intermédiaires bancaires dans le pays et aux Etats-Unis, d’où proviennent les dollars. Ces opérations ont un coût très important, elles neutralisent tout intérêt à privilégier un achat sur le continent sud-américain.
Dr Pedro Paez (voir interview) explique que l’Amérique latine a « besoin d’une monnaie qui arrête d’être le véhicule de l’exploitation, de la spéculation, le véhicule de l’extraction des revenus de nos pays ». Il considère que le dollar est « le véhicule de la dépendance et du blocage de possibilités productives ». Il est donc nécessaire de « construire une monnaie qui permette de rendre soutenable le déploiement d’autres logiques productives, différentes de celles du grand capital financier transnational » qui met « son filtre sur les projets productifs qui peuvent se déployer et ceux qui ne le peuvent pas ».
Le SUCRE intervient en tant que monnaie complémentaire – elle ne se substitue pas à la monnaie nationale – qui permet de s’affranchir de l’intermédiaire dollar. Chaque pays commence par acheter des « sucres » au taux de 1,25 dollar et en remplit les réserves d’une chambre de compensation. Dès qu’un acheteur passe par sa banque pour demander le paiement du vendeur dans son pays, les Banques centrales échangent les « sucres » au montant acheté, le vendeur est alors payé dans sa monnaie nationale. C’est plus simple, plus rapide et c’est un service gratuit. La monnaie permet ainsi de faciliter et stimuler les échanges dans la zone.
Pour autant, le SUCRE est-il une monnaie sociale et solidaire ? Selon M. Paez, le SUCRE est une condition « nécessaire mais non suffisante » pour remplir les objectifs de solidarité fixés par les pays participants. Nous pouvons entrevoir les caractéristiques sociales et solidaires de la monnaie dans le mécanisme de convergence commerciale des économies sur lequel s’appuie le SUCRE. Un pays trop excédentaire en « sucres » dans ses échanges commerciaux avec un autre pays devra investir dans des projets permettant de diversifier la production du pays déficitaire. Ces investissements doivent satisfaire en priorité les besoins sociaux et se réaliser au travers d’entreprises publiques, coopératives et communautaires.
Reste alors la sphère d’exercice de la nouvelle monnaie. Dans l’esprit de sa construction, le SUCRE n’a pas vocation à se restreindre aux pays de l’ALBA, l’objectif est de convaincre petit à petit les pays de l’UNASUR de son efficacité, pays par pays. Plus des pays participeront, plus il sera difficile pour les autres de rester à l’écart en continuant à échanger des biens en dollars sur le continent sud-américain.