Une idéologie solidaire
L’idéologie solidaire représente les fondations des clubs de troc. Si ces fondations ne sont pas assez solides, tout s’effondre … le système se pervertit et reprend très vite les dérives du marché traditionnel.
Ils l’ont dit
« Si le système n’est pas porté par une idéologie forte et à laquelle le plus grand nombre adhère activement, alors rien ne peut fonctionner » Carlos Perez Lora (Red Mar y Sierras)
Si l’on reprend les textes qui théorisent les clubs de troc, ils sont toujours empreints d’une forte idéologie solidaire :
“Dans ce contexte de crise, le troc est une expérience de “ré-ingénierie sociale” créée au sein même de la société, mise en oeuvre tant par les classes moyennes que par les couches les plus défavorisées. En pratiquant cette activité, on a démontré qu’elle constitue un instrument propice à la participation sociale et communautaire. C’est une possibilité, construite collectivement par les exclus du marché du travail, de réinventer le marché à travers l’économie sociale et ses outils, en faisant appel à la confiance, la réciprocité et la solidarité, au lieu de la rude concurrence instaurée par le marché. Le troc propose la jouissance intégrale des biens et des services produits par la société, il revendique la responsabilité sociale, la durabilité, le développement humain, la participation sociale et l’égalitarisme”
déclaration de Carlos de Sanzo, membre du groupe fondateur, publiée dans Clarin 27/05/10
DECLARATION DE PRINCIPES DU RESEAU GLOBAL DE TROC (extraits)
1. Notre réalisation en tant qu’êtres humains n’a pas besoin d’être conditionnée par l’argent.
2. Nous ne cherchons pas à promouvoir des articles ou des services, mais à nous entraider afin de donner un sens supérieur à notre vie grâce au travail, la compréhension et l’échange équitable.
3. Nous soutenons qu’il est possible de remplacer la concurrence stérile, le profit et la spéculation par la réciprocité entre les personnes.
4. Nous croyons que nos actes, produits et services peuvent répondre à des normes éthiques et écologiques plutôt qu’aux diktats du marché, du consumérisme et de la recherche d’un profit à court terme.
…
12. Nous croyons profondément dans l’idée de progrès comme conséquence du bien-être durable du plus grand nombre de personnes, de l’ensemble des sociétés. »
Pendant notre investigation, nous avons pu retrouver cette idéologie dans les discours des personnes interrogées. La plupart nous ont témoigné d’un véritable engagement solidaire, d’un sens aigu de la responsabilité envers la communauté.
Une réalité qui s’éloigne de la théorie
La réalité des clubs de troc s’est finalement largement éloignée de cette belle idéologie solidaire. La crise fut telle en Argentine, qu’à son apogée, tous se sont rués vers les clubs de troc qui étaient devenue la seule alternative pour manger et survivre. On passe de 85 membres en 2000 à 800 000 en 2001 pour finir à 2 500 000 en 2002. Des milliers de personnes viennent échanger tout ce qu’ils ont dans leur maison (vêtements, meubles, livres …) contre de la nourriture. Les formations ne peuvent plus être délivrées à chacun, la notion clé du prosommateur (voir culture du travail) est peu à peu oubliée, et l’idéologie s’évanouie.
Les clubs de troc qui étaient à l’origine une « économie complémentaire sociale et solidaire » deviennent une « économie de secours », un palliatif à la crise. Les créditos qui se voulaient « une monnaie de transformation sociale » deviennent « la monnaie des pauvres », « une monnaie de transition » en attendant des jours meilleurs. Ainsi, dès que « l’argent » est de nouveau réapparu, avec les subventions de l’Etat (plan) et le redémarrage de l’économie formelle, beaucoup ont déserté les clubs et le système s’est effondré en l’espace de quelques mois. (lire aussi l’article sur la chute du troc).
Sans changement de paradigme, sans changement de posture, si l’idéologie solidaire ne guide pas le comportement et les actions du plus grand nombre, aucune transformation radicale du système et de la société ne peut s’opérer.
Tous les nodos encore actifs que nous avons interrogés sur leur objectif premier, nous ont répondu : la solidarité. Du plaisir, tout simplement, de se retrouver pour échanger, discuter, l’engagement d’aider les plus pauvres, être utile pour sa communauté.
L’exemple du nodo de Capitan Bermudez, Rosario.
Un des nodos les plus exemplaires sur ce point est celui de Capitan Bermudez, à quelques kilomètres de Rosario. Nous y avons rencontré un petit groupe de personnes, organisé autour de l’association Poriajhu, fortement engagé pour le développement de l’économie sociale et solidaire autour de différentes activités : Banque de micro crédit (Banco Popular de la Buena Fe), magasin de commerce équitable, artisanat local, radio solidaire, et club de troc. Toutes ses activités sont fortement liées les unes aux autres. Quand une nouvelle personne intègre le club de troc et vend des produits de sa propre production, on l’invite systématiquement à participer à une réunion pour découvrir les opportunités du microcrédit. Grâce au micro crédit, une jeune micro-entrepreneuse a pu ouvrir un magasin de commerce équitable, la Enmarada, (les férias ont lieux dans les locaux buenafe). Les petits artisans dont les produits sont vendus dans le magasin Enmarada, les vendent aussi en créditos dans le club de troc. La radio solidaire promeut toutes ces initiatives.